La sécurité, l’espionnage et les élections fédérales

La plus longue campagne électorale de l’histoire canadienne. Et la plus chère.

Voilà ce qui a été déclenché hier par Stephen Harper.

Malgré les coûts faramineux que ce choix va engendrer pour les partis politiques et les électeurs canadiens, il s’agit d’une excellente opportunité de faire entendre certains points de vue différents sur les enjeux qui nous concernent tous.

En ce qui nous concerne, les enjeux sur lesquels nous aimerions communiquer, sont ceux de la sécurité, du milieu du renseignement, de l’informatique, des technologies de l’information, de la géopolitique et du Web.

Et il y a long à dire à ce sujet au niveau de la politique fédérale.

Un pouvoir spécifiquement « Canadian »

Tout d’abord, pour que tous comprennent bien: la protection du territoire contre les menaces externes est un pouvoir fédéral. C’est pourquoi le Québec n’a pas un service de renseignements particulièrement élaboré. Le seul service qui ressemble moindrement à une unité d’espionnage est le SRCQ (Service de renseignements criminels du Québec), qui, sommairement, n’enquête que sur les organisations criminelles domestiques, telles que la mafia, les gangs de rue, et ce genre de truc. Le SRCQ n’a pas le mandat (lire « le pouvoir ») d’effectuer des activités d’espionnage ou de contre-espionnage contre un autre pays. L’organisme qui détient ce mandat est un organisme fédéral, nommé le SCRS (Service canadien du renseignement de sécurité), et ses déclinaisons, tel que le CSTC (Centre de la sécurité des télécommunications Canada), s’occupant des aspects plus technologiques de la chose.

Puisque ces organismes sont fédéraux, logés à Ottawa, et principalement administrés en anglais (soyons honnêtes), on peut donc considérer qu’il est relativement normal que les québécois, majoritairement francophones, ne se sentent pas particulièrement intéressés, ou du moins interpellés, par le sujet. D’où la nécessité d’un média comme le nôtre dans le but de vulgariser et faciliter le passage de l’information essentielle.

Le projet de loi C-51

Au cours des derniers mois, les partis en place à Ottawa, ainsi que les médias du pays, ont beaucoup discutés et élaboré sur un nouveau projet de loi qui a été adopté par le gouvernement Harper, le projet de loi C-51.

Fondamentalement, les raisons derrières ce projet de loi sont relativement nobles: augmenter le financement des services de renseignements canadiens (pour mieux protéger les citoyens) et faciliter la mise en place d’opérations (en diminuant les comptes à rendre) dans le but de réagir rapidement en cas de menace soudaine et imminente.

Tel que disent souvent les stratèges politique: « on ne peut pas être contre la vertu », et c’est exactement la réflexion à la base de ce projet de loi.

Ceci étant dit, dans les faits, l’histoire nous a démontré, par exemple chez nous voisins du Sud et leur fameux « Patriot Act », que le politique prend un vilain plaisir à abuser de la vertu.

Le « Patriot Act » est une loi qui a été mise en place par l’administration Bush lors des attaques du 11 septembre 2001 à New York. Le but de ce projet de loi était d’offrir des pouvoirs extraordinaires aux services secrets dans le but de prévenir de futurs attaques du genre. Cette loi, qui se voulait temporaire (et devait être revotée à chaque quelques années), est devenue quasi-permanente, et a utilisé par des organisations telles que la NSA pour espionner illégalement des centaines de millions de citoyens américains, ainsi que pratiquement tous les leaders occidentaux, en passant d’Angela Merkel, à François Hollande et autres. Cette loi est toujours active et rien n’indique que ce genre de pratique changera réellement à terme, malgré certains changements bureaucratiques.

Vous pouvez donc imaginer ce que donnerait C-51 sous un gouvernement conservateur majoritaire avec Stephen Harper.

Qui a voté pour/contre C-51? Pourquoi?

Parti Conservateur du Canada (PCC) : Évidemment, le parti au pouvoir ayant introduit cette mesure, qui a voté pour celle-ci, et s’est assuré de la faire adopter, sans compromis ou amendements, puisqu’ils sont actuellement majoritaires. Ce qui sera important de suivre sera comment le PCC utilisera les nouveaux pouvoirs (et ses failles) du SCRS pour espionner les activistes écologistes de l’ouest du pays et du Québec qui refusent d’abandonner face au projet de pipeline, ce qui commence sérieusement à affecter l’économie Albertaine.

Parti Libéral du Canada (PLC): Le parti Libéral, sous Justin Trudeau, a soutenu la mesure. L’argumentaire principal étant que ceci rendrait les citoyens canadiens « plus en sécurité ». Évidemment, il est important de noter que le PLC n’est pas le parti politique avec un dossier des plus propres, sortant à peine de plusieurs scandales de corruption, particulièrement à l’encontre du mouvement indépendantiste québécois. Il est assez facile d’imaginer ce que le PLC ferait avec les pouvoirs accrus du SCRS s’il accédait au pouvoir et que l’indépendance montait encore plus dans les sondages au Québec. Le PLC a déjà utilisé de ces pouvoirs par le passé (loi martiale et espionnage sur les militants souverainistes dans les années ’70) et ne se gênerait sûrement pas pour le faire à nouveau.

Nouveau Parti Démocratique (NPD): Le NPD s’est farouchement opposé au projet de loi C-51 (comme le parti vert), ce qui est tout à leur honneur. La position officielle du NPD est que ce projet de loi ouvre la voie à l’espionnage politique vu le manque de clarté et de balises quant aux nouveaux pouvoirs. Ce qui est également louable et vrai dans les faits. Ceci étant dit, l’histoire ne dit pas si la position du NPD est uniquement pour protéger ses propres intérêts politiques, ou pour réellement protéger les intérêts des citoyens du Canada.

Bloc Québécois (BQ): Le Bloc Québécois a officiellement voté en faveur du projet de loi C-51. Pour avoir moi-même parlé à la direction du parti quant à cette prise de position mal-avisée, l’argumentaire principal de cette décision était : « On ne pourra pas empêcher C-51 de passer, donc nous votons « Pour » pour pouvoir soumettre des amendements et adoucir/fixer les problèmes de ce projet de loi ». Je leur avais d’ailleurs fait savoir qu’il s’agissait là d’une décision politique « très candide » et que Harper interpréterait plutôt cela comme de la faiblesse de la part du Bloc. Ce qu’il a fait, en rejetant tous les amendements proposés par le Bloc Québécois. Ce qui fait que, historiquement parlant, le Bloc a donné son aval à ce projet de loi, même s’il s’est révisé par la suite, voyant que ses amendements étaient refusés par le PCC. Espérons qu’ils se raviseront lors de cette campagne électorale. Sinon ce parti se dirige directement à sa perte, par manque d’expertise et de compréhension des enjeux du monde moderne.

Que puis-je faire contre C-51?

Dans les faits, plusieurs choses peuvent être faites pour contrer C-51.

Techniquement: Utilisez et soutenez des outils technologiques qui assurent votre anonymat et la protection de vos données. Découvrez et participez à des projets tels que Tor, OTR, PGP, au développement de nouvelles applications qui soutiennent le transfert encrypté de vos informations. Nous en parlerons plus longuement au cours des années à venir. Soutenez des organisations et des entreprises qui ont ces valeurs à coeur. Démontrez qu’il s’agit d’un enjeu important pour vous et vos concitoyens. Soutenez les lanceurs d’alertes tels que Julian Assange et Edward Snowden.

Politiquement: Parlez-en. Discutez-en lors des assemblées des organisations et des partis dans lesquels vous êtes impliqué(e). Une loi est une construction humaine virtuelle qui peut être détruite à tout moment suite à une élection ou un jugement. Apprenez à vulgariser les enjeux reliés au milieu de la sécurité. Suivez-nous sur Facebook et Twitter. Partagez notre contenu. Plus les gens sont au courant, plus c’est simple et plus cela peut les rejoindre dans leur quotidien, plus ils s’intéresseront à ce sujet.

Travaillons ensemble à ce niveau.

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Publié par

Luc Lefebvre

Geek humaniste. Expert en gouvernance de la sécurité de l’information de jour et président-cofondateur de Crypto.Québec de soir. Ses intérêts sont le renseignement, la politique, la sécurité internationale, la technologie, la démocratie, le progrès, les droits humains et l’astronomie.