Nous réagissons dans ce texte à la proposition de Martine Ouellet concernant l’accès à Internet au Québec.
La proposition dévoilée le 29 août 2016 a eu beaucoup d’échos dans les médias en septembre et nous tenions à nous exprimer sur le sujet nous aussi. En plus du présent format HTML, notre texte d’opinion peut être consulté aux formats ODT et PDF.
Une version plus courte du texte est également parue dans le courrier des lecteurs du Journal Métro, le 27 septembre 2016, à la page 10.
Il est rafraîchissant d’entendre une députée de notre Assemblée nationale, Martine Ouellet, parler d’Internet, de «grand pacte social», d’un «droit» d’accès au réseau, d’un réseau qui serait «rapide et illimité» pour toutes les régions, d’un «défi» lancé à l’industrie des télécommunications pour rattraper l’évident retard du Québec (et du Canada) en cette matière. On oublie presque qu’il fallait en parler et surtout agir il y a environ 10 ans…
L’analogie entre les infrastructures d’Internet et celles du réseau électrique de même que l’évocation de l’épisode mythique de la nationalisation de l’électricité au Québec sont certainement utiles à la cause et peuvent nous aider à faire adopter de bonnes mesures pour lutter contre la dimension géographique du fossé numérique. Cependant, le réseau électrique, contrairement au réseau numérique, ne véhicule pas toutes nos communications, privées comme publiques. Il n’est pas très utile pour tracer, pister, profiler les internautes et étudier leurs comportements. Des enjeux considérables et inédits sont soulevés par Internet et au premier rang de ceux-ci il y a ceux de nos libertés et de nos droits. Il est donc souhaitable que la discussion politique ne porte pas uniquement sur «plus» ou «moins» d’Internet, mais également, si l’on peut dire, sur «mieux» d’Internet[a].
Mieux d’Internet
La Stratégie numérique du Québec, que le gouvernement actuel nous invite à cocréer sur la plateforme Objectif numérique[b] jusqu’en décembre 2016, doit impérativement tenir compte de nos libertés et de nos droits. Lorsqu’il est question d’Internet, cela implique notamment :
- d’adopter des politiques qui respectent les Principes internationaux sur l’application des droits de l’homme à la surveillance des communications. [1]
- de mettre de la pression sur Ottawa dans le cadre de la Consultation sur la sécurité nationale pour que nos droits à la vie privée, à la liberté d’expression et à la communication ne soient pas sacrifiés encore une fois aux arguments de la peur du discours «sécuritaire». [2]
- de s’opposer vigoureusement au Partenariat transpacifique (PTP), qui fait reculer nos libertés informatiques, nos droits à la vie privée, à la liberté d’expression et même l’accès à notre domaine public. [3]
- d’aller au moins aussi loin que les régulateurs européens de l’ORECE dans la défense du principe de la neutralité du réseau. [4]
- d’abroger les dispositions de la loi 74 qui obligent les fournisseurs d’accès à Internet à bloquer des sites web comme moyen de préserver le monopole de Loto-Québec : cette méthode constitue un dangereux et inutile précédent qui viole directement le principe de la neutralité du réseau. D’autres méthodes existent pour parvenir aux mêmes fins. [5]
- d’élaborer une vision et de mettre à exécution une stratégie et des plans d’action afin d’assurer le développement d’un Internet libre, indépendant, décentralisé, protecteur de nos libertés et de nos droits et compris comme un bien commun à cultiver pour l’enrichissement de tous, à préserver pour les générations futures. [6]
Qui sera le premier député ou la première députée de l’Assemblée nationale du Québec à proposer une vision d’Internet qui sera applaudie par les organismes de défense des droits et libertés, les hackers et les libristes ?
En attendant que nos parlementaires s’intéressent sérieusement à ces questions cruciales, nous invitons les citoyens et les citoyennes à en débattre sur toutes les tribunes publiques disponibles, qu’elles soient numériques ou pas.
– FACIL, pour l’appropriation collective de l’informatique libre et Crypto.Québec
a. Allusion à l’essai de Martine Ouellet intitulé Mieux d’État (Éditions Somme toute, 2015, 120 p.)
b. https://numerique.economie.gouv.qc.ca