Application Alerte COVID : un bilan peu reluisant

Il y a un peu moins d’un an, le Québec venait à peine de sortir de la première vague de la pandémie, et s’apprêtait à affronter la deuxième. La courbe était aplatie, mais pas pour longtemps. En complément des mesures sanitaires déjà mises en place, le premier ministre proposait une nouvelle solution technologique pour contenir et prévenir les éclosions dans la province : Alerte COVID, une application de traçage. 

Dès les premières rumeurs de son lancement, l’application reçoit un accueil tiède. Les experts invités à se pencher sur la question lors d’une commission parlementaire sont unanimes : Alerte COVID n’est pas une solution viable, étant donné, entre autres, le manque d’efficacité de sa technologie Bluetooth, le risque élevé de faux positifs, le faible taux d’adhésion qu’elle risque de susciter au sein de la population, ainsi que les inquiétudes quant à la collecte de données personnelles des utilisateurs. De plus, la tranche de la population la plus à risque de contracter le virus (les personnes âgées) est la moins bien outillée pour installer l’application, car celle-ci ne fonctionne que sur des téléphones cellulaires récents.

« Bébelle », « gadget », « coûteux », « inutile » : les qualificatifs utilisés par les experts lors de la commission parlementaire révèlent un manque de confiance flagrant envers l’application Alerte COVID.

Les désavantages semblant largement dépasser les bénéfices, tous les signes pointent vers le rejet de l’application. Pourtant, en octobre, le premier ministre annonce son lancement. 

Pour être un succès, l’application Alerte COVID devait être utilisée par un minimum de 30%  à 40% de la population, selon Sébastien Gambs, professeur au département d’informatique de l’UQAM, de passage à Radio-Canada. Six mois après son lancement, Le Devoir indique qu’Alerte COVID n’aura suscité qu’un taux de participation active de 1,9%

Pas juste un amas de chiffres

« On appelle ça du solutionnisme technologique », lance sans équivoque André Mondoux, professeur titulaire à l’École des médias de l’UQAM et expert invité à la commission parlementaire.

Créé sous la plume du chercheur biélorusse Evgeny Morozov dans son livre To Save Everything, Click Here: The Folly of Technological Solutionism, le terme réfère à l’idéologie phare de Silicon Valley, qui prescrit la technologie comme antidote ultime à tous les maux de la société. Une idéologie qui tend à reformuler des problèmes complexes en « problèmes bien définis, avec des solutions précises et calculables ». « Si on gère la population comme une grosse statistique, ben emmènes-en de la machine, y’en a pas de problème ! », ironise M. Mondoux.

Datafication : La volonté de transformer de grandes quantités d’activités et de comportements humains en points de données pouvant être tracés, collectés et analysés.

Lina Dencik, Fieke Jansen and Philippa Metcalfe

Disant d’une part comprendre la décision du gouvernement d’aller de l’avant avec l’application de traçage, compte tenu des pressions politiques et de la difficulté de gérer une situation inédite causée par la pandémie, M. Mondoux croit que l’implantation de l’application Alerte COVID au Québec a mis en évidence une tendance grandissante à la datafication de la population. Le sociologue de formation déplore d’ailleurs que le débat d’Alerte COVID ait été largement mené sur le terrain de l’informatique :

« Une population, c’est quoi ? Juste un amas de chiffres ? Dans le décor de ce débat-là, on a des nouveaux intervenants en santé qui sont des statisticiens […] ça m’étonne pas que ce monde-là penche vers des technologies de quantification. L’idée de santé populationnelle, ça passe pas juste par ‘Est-on infecté ou pas ?’. Ça passe aussi par la santé au niveau de l’information, par exemple », indique M. Mondoux, citant les fausses nouvelles et les théories de la conspiration comme deux symptômes inquiétants d’une société pas tout à fait saine. 

Lors de la commission parlementaire, M. Mondoux avait mis en garde le gouvernement quant au lancement d’Alerte COVID, s’inquiétant notamment du précédent créé par la mise en place d’une application de traçage au Québec.

« Lorsqu’il y a des gros événements internationaux comme le G7, ou les Jeux Olympiques, où l’on déploie d’énormes infrastructures technologiques de surveillance et de contrôle… je peux vous dire que dans la majorité des cas, ça reste après », assure M. Mondoux.

Dans la foulée du débat actuel sur le code QR au Québec, il est légitime de se poser la question : une autre solution numérique, potentiellement nuisible pour la vie privée des citoyens, est-elle vraiment viable ?

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Publié par

Fanny Tan

Fanny Tan est une journaliste spécialisée en technologie. Elle s’intéresse aux enjeux sociaux et politiques du numérique, en particulier la surveillance de masse et la protection de la vie privée, la cybersécurité, la propagande computationnelle et les luttes de pouvoir dans le cyberespace. Pour la rejoindre: